Le réveil sonne depuis dix minutes déjà, mais elle n’arrive pas à se lever. Elle s’accorde quelques minutes. Elle pense à son grand-père. Elle espère qu’il repose en paix, dorénavant.

Son grand-père. Revenu d’un camp. Rescapé, comme on dit. Témoin de l’horreur. Elle se rappelle les mots qu’il prononçait, les larmes dans les yeux, la rage dans le cœur. Aujourd’hui, il n’est plus la. Elle est témoin de témoin, passeur de mémoire. Parce que la mémoire ne meurt jamais. Parce que personne ne peut oublier l’inacceptable vérité. Elle se rappelle la folie d’un homme, la crainte d’un peuple. Elle se rappelle les arrestations, les dénonciations. Elle se rappelle les trains, les hommes entassés, ces hommes qui ne savent pas où on les emmène.. Elle se rappelle les barbelés, les baraquements, la place d’appel. Elle se rappelle les tortures, les coups qui pleuvent pour un simple geste, un simple mot de trop, les humiliations. Elle se rappelle le froid, la faim, la soif, la maladie, les parasites, la peau sur les os, la peur, l’agonie. Elle se rappelle les millions d’hommes, de femmes, d’enfants. Réduits à des numéros, des tatouages. Plus de cheveux, plus de vêtements, plus de nom, plus d’identité, plus rien. Elle se rappelle la solution finale. Chambres à gaz, zyklon B. Les fours. Les cendres. Les morts, les millions de morts. L’horreur. La folie humaine dans toute sa splendeur.

Elle touche son ventre. Le petit être qui grandit en elle donne des coups. Elle sourit.

Elle se lève enfin, va à la fenêtre. Elle contemple les immeubles gris, le ciel triste et pluvieux. Son regard se perd dans le va et vient des voitures Des larmes roulent sur ses joues.

Elle se rappelle. Elle se rappelle la une du journal télévisé, hier soir. Elle se rappelle qu’hier, on a annoncé la victoire écrasante du front national aux élections.

Elle caresse son ventre rond et elle pleure.

Bruxelles, avril 2015

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